Le terroir, c'est une terre à vigne, c'est aussi le métier et le travail.
Le terroir ne se réduit pas à une simple histoire de sol. Il nous faut bâtir les équilibres nouveaux dont nos terroirs ont besoin. Au Château Lagarette, dans bien des régions de France, et dans bien des pays, aujourd’hui s’exprime la volonté de sauver les savoirs locaux. Ils sont partout une garantie pour l’équilibre de la planète.
En Sciences Sociales, la notion de terroir relève de ce qu’on appelle « un objet frontière ». Tout « le monde » s’en empare, les historiens, les géographes, les anthropologues. A chaque fois, les sens attribués sont différents. Il nous faut garder en mémoire que l’idée de terroir a été utilisée par les "folkloristes" dans des tonalités qui n’étaient pas forcément élogieuses. Elle a été utilisée par des politiques. Mauras, le Maréchal, en ont fait usage (la petite patrie). Les professionnels du marketing (colloque récent à la Sorbonne « terroir et culture ») en font usage. Dans les sociétés agroalimentaires, chacun y va de son naturel, plus ou moins authentique, et des usages qu’il est possible d’en faire.
On connaît aussi les usages qui en sont fait dans le politico-administratif : le pays, le terroir, nouveaux découpages, nouvelles constructions, développement local, etc. Donc, le terroir c'est un objet frontière avec des utilisations multiples.
Il faudrait beaucoup de temps pour refaire la cartographie de l’idée de terroir et de ses usages. À vrai dire, il y a deux tendances : une tendance naturaliste et une tendance culturaliste.
La tendance naturaliste nous dit que le terroir, c’est la nature. C’est quoi la nature ? On ne sait pas trop. Est-ce qu’il y a une nature naturante, récurrente qui était là avant qu’il y ait de l’humain ? Je n'en suis pas sûr ! Il y aurait une sorte de sur-détermination par la nature. Derrière cette pensée, se dissimule le souci du foncier, « touche pas à mon terroir il a de la valeur ». Si je suis dans le Médoc, mon vin sera forcément bon, peu importe la manière dont je vais travailler, encore plus si j’ai un domaine qui a un nom, cela va de soi. Et si tu oses dire que le travail de transformation a plus de valeur que ce que la terre apporte, c’est une insulte. Jean-Robert Pitte dans un livre récent sur Bordeaux, dit qu’il ne suffit pas d’avoir un stradivarius pour bien jouer du Mozart, encore faut-il être en capacité d’exécuter la partition. L’instrument ne suffit pas. Le métier, le travail comptent pour beaucoup.
La tendance culturaliste considère qu’entre nature et culture, on a du mal à faire la part. Un terroir, en viticulture, c’est aussi une terre à vigne. C’est quoi une terre à vigne ? Une terre travaillée par les hommes depuis des siècles et qui du seul fait qu’elle est une terre, où on cultive la vigne, a connu toutes sortes de transformations et d'aménagements. Cette idée entre culture et nature a un lien très profond, toutes sortes de conséquences, d’habitudes de travail en fonction de l’espace dans lequel on vit, d’utilisations d’un certain nombre d’outillages, de manières de raisonner, etc. Manières de raisonner mais aussi manières de ressentir un terroir. Ce n’est pas uniquement de la culture et du cognitif, c’est aussi du ressenti. Le terroir, espace d’émotions, manières de ressentir les faits et gestes, la qualité d’un paysage, des manières de travailler. Comme dirait Augustin Berque, le terroir, c’est une sorte de coquille, un espace à l’intérieur duquel nous vivons et nous nous construisons.
De ce lien avec culture et nature naissent les « savoirs locaux », manières de dire le monde, de l’expliquer et d’agir sur lui. Ces savoirs locaux font parti du terroir. La culture, au sens large, fait corps avec la nature du terroir. Autrefois, pour qualifier un terroir et les gens qui vivaient sur ce terroir, on nommait les manières de se nourrir et de s’habiller. Aujourd’hui, cela n’a plus de sens. Ces savoirs locaux rassemblent les manières d’agir, sur la nature, dont on a appris à connaître les caprices et les colères au fil des ans. Tout cela se transmet de générations en générations.
Ce qui m’a beaucoup frappé dans l’univers de la viticulture et dans le travail du vigneron, c’est la place occupée par ce qu’on appelle la techno-science (toutes les ressources scientifiques et techniques utilisées pour produire). Leur usage intensif a progressivement abîmé les savoirs du terroir et les savoirs locaux. Je suis très surpris de rencontrer des vignerons qui ne savent plus vinifier. Certes, ils font toujours un vin acceptable parce que la techno-science et l’œnologue sont là. Soit, mais que va t-il faire cet œnologue ? Quelles sont ses interventions ? Connaît-il seulement le processus de base de la vinification ? Il y a une sorte d’oubli progressif des processus fondamentaux du métier de vinifier. Tout cela est préoccupant.
Tous ceux qui s’attachent, aujourd’hui à un renouveau de la culture du vin sont soucieux de l’art de vinifier. L’art de vinifier, c’est une sorte de corps à corps avec la matière, une matière qui est sentie, ressentie, appréciée, goûtée, touchée, sur laquelle on intervient, avec pour souci premier, de ne pas dénaturer le cours des choses. N’utiliser que des produits naturels est un choix. Sinon on rentre dans un cycle de déconstruction de la matière qui n’est pas sans produire des effets.
Tous ces savoirs font partie du terroir. Le terroir est une entité culturelle qui est faite de savoirs locaux qui se sont construits dans le rapport homme/nature. Nous qui sommes si fiers de nos différences culturelles, nous ignorons l’exceptionnalité de nos « savoirs vinifier ». Dans bien des pays, aujourd’hui, s’exprime la volonté de sauver les savoirs locaux. Ils sont une garantie pour l’équilibre de la planète.
Nous sommes l’un des pays où la techno-science et la chimie ont fait le plus de ravages et pas uniquement dans la viticulture. Ce n’est pas une position de passéiste ! L’histoire est en marche. La seule chose que l’on puisse faire, c’est tenter de trouver des équilibres qui ne soient pas trop destructeurs. Et pour ce faire, tout en prenant appui sur ce que la science nous apporte pour lire le réel et le comprendre, il est peut-être utile de remobiliser ces savoirs dit d’expériences ou savoirs locaux dont nous sommes les héritiers.
Yvon Minvielle
Extrait Conférence Librairie Mollat Bordeaux
Débat "Les terroirs" animé par Ségolène Lefèvre, historienne de l'alimentation - 19 janvier 2007
En Sciences Sociales, la notion de terroir relève de ce qu’on appelle « un objet frontière ». Tout « le monde » s’en empare, les historiens, les géographes, les anthropologues. A chaque fois, les sens attribués sont différents. Il nous faut garder en mémoire que l’idée de terroir a été utilisée par les "folkloristes" dans des tonalités qui n’étaient pas forcément élogieuses. Elle a été utilisée par des politiques. Mauras, le Maréchal, en ont fait usage (la petite patrie). Les professionnels du marketing (colloque récent à la Sorbonne « terroir et culture ») en font usage. Dans les sociétés agroalimentaires, chacun y va de son naturel, plus ou moins authentique, et des usages qu’il est possible d’en faire.
On connaît aussi les usages qui en sont fait dans le politico-administratif : le pays, le terroir, nouveaux découpages, nouvelles constructions, développement local, etc. Donc, le terroir c'est un objet frontière avec des utilisations multiples.
Il faudrait beaucoup de temps pour refaire la cartographie de l’idée de terroir et de ses usages. À vrai dire, il y a deux tendances : une tendance naturaliste et une tendance culturaliste.
La tendance naturaliste nous dit que le terroir, c’est la nature. C’est quoi la nature ? On ne sait pas trop. Est-ce qu’il y a une nature naturante, récurrente qui était là avant qu’il y ait de l’humain ? Je n'en suis pas sûr ! Il y aurait une sorte de sur-détermination par la nature. Derrière cette pensée, se dissimule le souci du foncier, « touche pas à mon terroir il a de la valeur ». Si je suis dans le Médoc, mon vin sera forcément bon, peu importe la manière dont je vais travailler, encore plus si j’ai un domaine qui a un nom, cela va de soi. Et si tu oses dire que le travail de transformation a plus de valeur que ce que la terre apporte, c’est une insulte. Jean-Robert Pitte dans un livre récent sur Bordeaux, dit qu’il ne suffit pas d’avoir un stradivarius pour bien jouer du Mozart, encore faut-il être en capacité d’exécuter la partition. L’instrument ne suffit pas. Le métier, le travail comptent pour beaucoup.
La tendance culturaliste considère qu’entre nature et culture, on a du mal à faire la part. Un terroir, en viticulture, c’est aussi une terre à vigne. C’est quoi une terre à vigne ? Une terre travaillée par les hommes depuis des siècles et qui du seul fait qu’elle est une terre, où on cultive la vigne, a connu toutes sortes de transformations et d'aménagements. Cette idée entre culture et nature a un lien très profond, toutes sortes de conséquences, d’habitudes de travail en fonction de l’espace dans lequel on vit, d’utilisations d’un certain nombre d’outillages, de manières de raisonner, etc. Manières de raisonner mais aussi manières de ressentir un terroir. Ce n’est pas uniquement de la culture et du cognitif, c’est aussi du ressenti. Le terroir, espace d’émotions, manières de ressentir les faits et gestes, la qualité d’un paysage, des manières de travailler. Comme dirait Augustin Berque, le terroir, c’est une sorte de coquille, un espace à l’intérieur duquel nous vivons et nous nous construisons.
De ce lien avec culture et nature naissent les « savoirs locaux », manières de dire le monde, de l’expliquer et d’agir sur lui. Ces savoirs locaux font parti du terroir. La culture, au sens large, fait corps avec la nature du terroir. Autrefois, pour qualifier un terroir et les gens qui vivaient sur ce terroir, on nommait les manières de se nourrir et de s’habiller. Aujourd’hui, cela n’a plus de sens. Ces savoirs locaux rassemblent les manières d’agir, sur la nature, dont on a appris à connaître les caprices et les colères au fil des ans. Tout cela se transmet de générations en générations.
Ce qui m’a beaucoup frappé dans l’univers de la viticulture et dans le travail du vigneron, c’est la place occupée par ce qu’on appelle la techno-science (toutes les ressources scientifiques et techniques utilisées pour produire). Leur usage intensif a progressivement abîmé les savoirs du terroir et les savoirs locaux. Je suis très surpris de rencontrer des vignerons qui ne savent plus vinifier. Certes, ils font toujours un vin acceptable parce que la techno-science et l’œnologue sont là. Soit, mais que va t-il faire cet œnologue ? Quelles sont ses interventions ? Connaît-il seulement le processus de base de la vinification ? Il y a une sorte d’oubli progressif des processus fondamentaux du métier de vinifier. Tout cela est préoccupant.
Tous ceux qui s’attachent, aujourd’hui à un renouveau de la culture du vin sont soucieux de l’art de vinifier. L’art de vinifier, c’est une sorte de corps à corps avec la matière, une matière qui est sentie, ressentie, appréciée, goûtée, touchée, sur laquelle on intervient, avec pour souci premier, de ne pas dénaturer le cours des choses. N’utiliser que des produits naturels est un choix. Sinon on rentre dans un cycle de déconstruction de la matière qui n’est pas sans produire des effets.
Tous ces savoirs font partie du terroir. Le terroir est une entité culturelle qui est faite de savoirs locaux qui se sont construits dans le rapport homme/nature. Nous qui sommes si fiers de nos différences culturelles, nous ignorons l’exceptionnalité de nos « savoirs vinifier ». Dans bien des pays, aujourd’hui, s’exprime la volonté de sauver les savoirs locaux. Ils sont une garantie pour l’équilibre de la planète.
Nous sommes l’un des pays où la techno-science et la chimie ont fait le plus de ravages et pas uniquement dans la viticulture. Ce n’est pas une position de passéiste ! L’histoire est en marche. La seule chose que l’on puisse faire, c’est tenter de trouver des équilibres qui ne soient pas trop destructeurs. Et pour ce faire, tout en prenant appui sur ce que la science nous apporte pour lire le réel et le comprendre, il est peut-être utile de remobiliser ces savoirs dit d’expériences ou savoirs locaux dont nous sommes les héritiers.
Yvon Minvielle
Extrait Conférence Librairie Mollat Bordeaux
Débat "Les terroirs" animé par Ségolène Lefèvre, historienne de l'alimentation - 19 janvier 2007
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